
Quelques mots sur l'auteur
Gérald BISTON est inspecteur principal honoraire de l’enseignement fondamental à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Membre de notre école de plongée Nérée, il est plongeur 4 étoiles et Guide de palanquée FFESSM. A la CMAS, il est instructeur d’Océanologie depuis 2011 et instructeur en biologie marine depuis 2022.
Il est également co-auteur avec John Pécriaux du Guide pratique de la Plongée en Zélande, véritable bible des plongeurs en Zélande. Après avoir tenu une rubrique originale de Faune et Flore dans L’Hippocampe, la revue trimestrielle de la Lifras, il anime toujours régulièrement nos Pages de Faune et Flore sur le site neree.eu et dans la Revue publiée sur le site https://www.amb-lifras.be/ par l’Association des moniteurs de plongée brabançons de la Lifras.
Dernier article Faune et Flore
Le potamot luisant :
un long voyage de la préhistoire à aujourd’hui
(octobre-novembre-décembre 2024)
Il est présent dans plusieurs de nos carrières habituelles. Il pourrait passer inaperçu si on n’y prend pas garde. Pourtant, le potamot luisant est une plante extraordinaire.
Son histoire, de la préhistoire à nos jours, est un exemple extraordinaire d’adaptations successives. Après avoir été une plante aquatique, le potamot luisant est devenu une plante terrestre puis est redevenu une plante aquatique. Aujourd’hui, il cumule une reproduction asexuée et une reproduction sexuée.
Le potamot luisant répond au nom scientifique de Potamogeton lucens. Ses feuilles sont le plus souvent vertes. Elles peuvent varier selon les plans d’eau entre le jaune-vert et le bronze mais elles sont toujours presque translucides et luisantes. Ovales, elles peuvent atteindre 30 cm de long et 5 cm de large.
Le potamot luisant préfère les endroits plutôt ensoleillés et une eau fraîche et claire, dormante ou légèrement courante. Il se fixe sur des fonds peu profonds, aux alentours d’un mètre de profondeur. La hauteur totale du potamot luisant dépend de la hauteur d’eau car la plante adapte sa hauteur à la hauteur d’eau et ne la dépasse pas.
Le potamot luisant est une plante vivace qui connaît peu de parasites. Elle contribue à l’oxygénation des plans d’eau et offre un abri aux poissons, aux amphibiens (grenouilles, crapauds, salamandres…) et aux autres animaux qui se cachent dans les herbiers et qui y pondent leurs œufs. Le potamot est fixé par son rhizome caché dans le fond du plan d’eau. Ce rhizome contribue à protéger les berges de l’érosion et maintient la stabilité de la rive. Il sert aussi de réserve d’énergie pour la plante, lui permettant de passer les périodes défavorables (hiver, manque de lumière) et de produire de nouvelles pousses au printemps, assurant ainsi une forme asexuée de reproduction.
Mais le plus intrigant pour le potamot luisant qui est une plante aquatique vivant totalement immergée, c’est qu’elle peut porter une fleur ! En plus de sa reproduction asexuée, elle cumule ainsi une reproduction sexuée !
Fleur de Potamot luisant photographiée à Ekeren le 3 juillet 2023
Pour comprendre la surprenante présence d’une fleur sur une plante aquatique immergée, il faut retracer à grands traits rapides une histoire des plantes.
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C’est dans l’eau que la vie est apparue sur terre, il y a à peu près 4 milliards d’années, sous la forme d’organismes unicellulaires microscopiques qui ressemblaient aux bactéries que nous connaissons encore aujourd’hui.
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Il y a environ 420 millions d’années, certaines plantes ont quitté le milieu aquatique et se sont acclimatées au milieu terrestre aérien. Etaient-elles à la recherche de nourriture ? Tentaient-elles d’échapper à des prédateurs ? Des changements climatiques ou géologiques avaient-ils rendu certaines zones terrestres plus accueillantes ? Ces questions restent encore sans réponse.
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Avec le temps, dans l’eau et dans l’air, certains organismes unicellulaires se sont associés en un ensemble de cellules toujours indifférenciées comme les éponges que nous connaissons encore aujourd’hui aussi.
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Pendant des millions d’années, dans ces ensemble de cellules, progressivement, certaines cellules se sont différenciées pour remplir des fonctions spécifiques et devenir soit des cellules de racines qui absorbent l’eau et les sels minéraux du sol, soit des cellules de tiges qui soutiennent la plante et transportent l’eau et les nutriments, soit enfin des cellules de feuilles qui maximisent la surface d’échange avec l’air et capturent la lumière du soleil. Les premières plantes étaient nées.
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Il y a environ 140 millions d’années, en plus de leur capacité de se reproduire de façon asexuée par bourgeonnement, certaines plantes terrestres ont développé une reproduction sexuée. Les fleurs sont apparues avec des étamines produisant des gamètes mâles et des pistils produisant des gamètes femelles. La fleur favorise la pollinisation par les insectes et les animaux et permet une reproduction plus efficace. Le fruit qui succède à la fleur protège les graines et facilite leur dispersion.
Ce rapide survol de la préhistoire à nos jours permet de retracer les moments-clés de l’histoire du potamot luisant de la préhistoire à nos jours :
- Il y a à peu près 420 millions d’années, il quitte le milieu aquatique et s’installe sur la terre ferme.
- Il y a environ 140 millions d’années, en plus de sa reproduction asexuée par bourgeonnement, il développe une reproduction sexuée par fleurs.
- A un moment impossible à dater, le potamot quitte le milieu terrestre et retourne vivre en milieu aquatique.
- Il conserve néanmoins sa reproduction sexuée et ses fleurs.
Comment cela a-t-il pu se faire puisque la fleur a besoin de la présence d’insectes volants pour assurer sa fécondation ?
Le potamot luisant présente deux sortes de tiges : les tiges portant les feuilles et les tiges portant une fleur. La fleur de cette tige qui ne porte pas de feuilles se trouve au sommet.
Quand la fleur arrive à maturité, sa tige s’allonge et la fleur émerge de l’eau. Elle devient à ce moment accessible à tous les insectes qui volent à la surface de l’eau et sa pollinisation est ainsi grandement facilitée.
Une fois la fécondation accomplie, la tige diminue sa longueur et la fleur rentre à nouveau dans l’eau pour y développer ses graines.
Lorsque les graines sont à leur tour à maturité, elles se séparent tout naturellement de leur support et les mouvements de l’eau permettent de les disperser au-delà de la zone immédiate couverte par le rhizome et ses bourgeonnements.
Ainsi, très ingénieusement, le potamot luisant peut se reproduire de façon asexuée par le bourgeonnement de son rhizome dans son environnement immédiat mais il peut également se reproduire de façon sexuée par l’essaimage de ses graines dans un environnement plus éloigné de lui.
L’espèce maximise ainsi ses chances de survie. Avec succès, visiblement puisque 420 millions d’années après être apparue, après être sortie de l’eau et s’être adaptée à l’environnement aérien, après être retournée en milieu aquatique et s’y être réadaptée, après avoir développé une reproduction sexuée par fleur dans sa vie terrestre, après avoir réadapté sa floraison lors de son retour à la vie aquatique, elle est toujours bien présente dans nos plans d’eau.
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