Certains progrès technologiques nous permettent de mieux comprendre la nature qui nous entoure. Ainsi certaines techniques de scanner couplées avec des programmes informatiques de traitement d’images en 3 dimensions viennent de permettre à des chercheurs espagnols de résoudre une énigme qui n’avait encore jamais pu l’être : à quoi servent les spicules des nudibranches ?

Les nudibranches

Les nudibranches forment un ordre de mollusques gastéropodes. Ils se caractérisent par l’absence de coquille et par des branchies nues qu’ils portent souvent sur le dos, soit sous la forme d’un panache branchial, soit sous la forme d’appendices qui, en plus des branchies, portent aussi des prolongements du système digestif capables de séparer et de stocker les toxines ingérées par les nudibranches quand ils se nourrissent de cnidaires ou de certaines éponges.

Quelques exemples de nudibranches:

Doris géant (Felimare picta)
près de Arrecife aux Iles Canaries

Limace pélerine (Cratena peregrina)
près de Marmaris en Turquie

Cuthone bleue (Cuthona caerulea)
près de Bodrum en Turquie

Glossodoris à liseré (Glossodoris hikuerensis)
près de El Quseir en Egypte

Danseuse espagnole (Hexabranchus sanguineus)
près de Hurghada en Egypte

Doris dalmatien (Peltodoris atromaculata)
près de L’Estartit en Espagne

Les spicules des nudibranches

Comme expliqué plus haut, les nudibranches sont des mollusques gastéropodes qui ont « perdu » leurs coquilles. Néanmoins, la plupart des nudibranches ont conservé à l’intérieur même de leurs corps des petites formes épineuses de silice ou de calcaire. Ce sont ces espèces d’aiguilles qu’on appelle les spicules et qui apparaissent, comme ci-dessous, quand on radiographie un nudibranche.

Radiographie des spicules d’une limace de mer Polycera quadrineata

A quoi peuvent bien servir les spicules des nudibranches ?

Si les biologistes sont d’accord pour reconnaître que les spicules des nudibranches constituent des « restes » de leurs carapaces, une controverse subsistait : à quoi servent-ils ?
Deux hypothèses s’opposaient :

  1. Les spicules ont une fonction défensive. Ils complètent les défenses chimiques que sont les appendices chargés de toxines qui ornent les dos de certaines espèces de nudibranches ;
  2. Les spicules ont une fonction structurelle : leur présence diminue la valeur énergétique des nudibranches auprès de leurs prédateurs et les rendent moins attractifs.

Au moyen de techniques très élaborées de prises de vue radiographique et de traitement d’images, les chercheurs ont pu produire des clichés qui n’avaient jamais pu être réalisés auparavant et qui permettent de visualiser les différents types de tissus à l’intérieur d’une limace de mer (Polycera quadrilineata) vue du côté droit (image a), vu du haut (image b), vu du bas (image c) et vu du côté gauche (image d).

Ces prises de vue tout à fait inédites ont permis de nouvelles observations :

  •  Il y a des spicules dans tous les tissus du corps des nudibranches mais il y en a une densité nettement plus forte à l’avant et à l’arrière du corps.
  • Au milieu du corps du nudibranche, le nombre et la taille des spicules diminuent.
  • Les spicules de la queue sont les plus grands et les plus acérés.
  • Les pointes les plus acérées des spicules sont toujours tournées vers l’extérieur du corps et non vers l’intérieur.

Ces nouvelles constatations couplées à l’observation de nudibranches réagissant à des attaques de prédateurs ont permis de valider l’hypothèse du rôle défensif des spicules. Il est évident que, situés à l’avant et à l’arrière du nudibranche, aiguisés et orientés vers l’extérieur et non vers l’intérieur, les spicules défendent solidement ces parties du corps.

Mais deux questions restaient encore en suspens.

1.Pourquoi le nombre et la taille des spicules diminuent-ils au centre du corps de l’animal alors que c’est là que se situent les organes les plus vitaux de l’animal ?

Quand une limace de mer détecte un prédateur à proximité, elle réagit en contractant son corps, formant alors une sorte de sphère. Pour pouvoir le faire, vu qu’il y a beaucoup de spicules dans l’enveloppe externe de la limace de mer, il est nécessaire d’avoir de l’espace libre avec une plus faible quantité de spicule au milieu du corps pour pouvoir le contracter. Il est donc normal qu’il y ait là moins de spicules et que les spicules y soient de plus petite taille.

2. A l’opposé, pourquoi y a-t-il autant de spicules de si grande taille dans la queue, alors que celle-ci est de plus petit diamètre que le reste du corps et qu’elle ne contient que peu d’organes vraiment vitaux  ?

Il n’est pas impossible qu’une limace de mer subisse une attaque inattendue d’un prédateur qui l’agresse par l’arrière sans qu’il ait été préalablement détecté. Dans ce cas, le prédateur reçoit immédiatement un « coup de douleur » que lui procurent la grande quantité de spicules dans la queue de la limace de mer. La surprise et la douleur infligée au prédateur laissent le temps à la limace de mer pour qu’elle adopte sa position défensive habituelle en boule avant de subir éventuellement une attaque plus précise… si le prédateur n’en a pas été découragé avant !

Ainsi, les dernières questions sont résolues et le rôle défensif des spicules est devenu évident grâce aux nouvelles technologies qui ont pu être utilisées dans cette recherche.

Les informations contenues dans cette Page de Faune et Flore ont été très largement inspirées par l’article « L’utilisation de la micro-CT haute résolution Skyscan 1172 pour élucider si les spicules des limaces de mer ont une fonction structurelle ou défensive » par Javier Alba-Tercedor et Luis Sanchez-Tocino du Département de Biologie animale à la Faculté des Sciences de l’Université de Grenade. Leur article nous a été aimablement communiqué par Fred De Smet.

Les personnes qui voudraient en savoir un peu plus sur la technique de traitement d’images en 3 dimensions peut suivre le lien https://www.cerege.fr/fr/structure-3d/principe-de-la-tomographie-rx