Une première version de cet article a été publiée sur notre site en octobre 2018.

La nouvelle publication ci-dessous, complétée et actualisée, a été publiée dans la revue L’Hippocampe n° 258 de la Lifras en décembre 2020.

Lors de nos plongées, nous avons pu les repérer à partir de la fin juillet. Elles ont littéralement pullulé du mois d’août au mois d’octobre. En Wallonie, on en a vu notamment dans les herbiers du Barrage de l’Eau d’Heure et dans les carrières d’Elouges à Dour, de Barges et de la Lapinière à Tournai, de la Gombe à Esneux et de la Croisette à Vodecée. En Flandre, on en a vu dans les herbiers du Nekker à Mechelen et dans le Puits d’Ekeren près d’Anvers mais ce relevé est vraisemblablement loin d’être exhaustif. Les récentes mesures de reconfinement partiel nous ont empêchés d’assister à leur disparition progressive à partir de la Toussaint.

Elles ? Ce sont ces espèces de chenilles transparentes qu’on peut voir surtout à la fin de l’été sur certaines parois rocheuses ou dans des herbiers à faible profondeur.

Elles ? Ce sont les cristatelles.

Cristatella mucedo a, Froidchapelle Barrage de l'Eau d'Heure, 190928
Cristatella mucedo b, Froidchapelle Barrage de l'Eau d'Heure, 180922
Cristatella mucedo a, Froidchapelle Barrage de l'Eau d'Heure, 180922

Colonies de cristatelles photographiées au Barrage de l’Eau d’Heure

Le nom scientifique de ces cristatelles est Cristatella mucedo. De loin, les cristatelles ont l’aspect de chenilles translucides et velues sauf pour leurs parties inférieures qui évoqueraient plutôt le pied d’un gastéropode. Ces animaux, d’une longueur de 5 cm au maximum, ne se déplacent que très lentement. Les cristatelles ne sont pourtant pas du tout des chenilles comme elles en ont l’air, ni des gastéropodes comme les nudibranches auxquels elles ressemblent un peu, mais des bryozoaires.

Les bryozoaires

Les bryozoaires forment un embranchement peu connu des plongeurs. Une plaisanterie a même couru un moment à leur sujet dans certains stages « Bio » de la Commission scientifique de la Lifras : « Si on te demande d’identifier un organisme que tu ne connais absolument pas et dont la photo ne t’évoque rien, réponds que c’est un bryozoaire » ! Animaux de taille modeste, quelques centimètres en moyenne, ils n’attirent pas forcément le regard. Il faut savoir qu’ils existent pour leur prêter attention. Pourtant, aujourd’hui, on a pu identifier environ 8.000 espèces de bryozoaires dont 99,9 % sont marins. La cristatelle est l’un des rares bryozoaires d’eau douce.

Chaque bryozoaire est une colonie qui englobe plusieurs centaines d’individus. Chaque individu, appelé zoïde, a une taille de l’ordre du millimètre. La caractéristique importante des bryozoaires est la présence d’un lophophore chez chaque zoïde. Le lophophore est le panache, la couronne de tentacules qui entoure la bouche et qui permet au zoïde de se nourrir et de respirer. A la différence des tentacules des cnidaires, les tentacules des bryozoaires ne contiennent pas de cellules urticantes.

Source : Guide de la faune et de la flore sous-marines de Zélande, Commission scientifique Lifras, 1998, page 226

Photo de Philippe Legrand
à la carrière de Dour en septembre 2020

Les bryozoaires sont des animaux filtreurs. Ils se nourrissent de petits organismes planctoniques capturés et transportés jusqu’à la bouche grâce aux lophophores. Leurs tentacules créent une dépression attirant les organismes vers la bouche puis ils refoulent l’eau.

Lophophores de cristatelles de la carrière de Barges à Tournai
photographiés au microscope par Pascal Canfin en octobre 2020

Les formes des colonies de bryozoaires sont très diversifiées : elles sont encroûtantes, dressées ou bien arbustives. Certaines ont une structure rigide, d’autres ont une structure souple. Bien que la taille moyenne des colonies de bryozoaires soit de l’ordre de quelques centimètres, certaines espèces plus exotiques présentent des colonies allant jusqu’au mètre.

Une colonie de bryozoaire à structure rigide
à Krabi en Thaïlande
(Photo de John Pécriaux)

 

Une colonie de bryozoaire à structure souple
à Lanzarote dans les Iles Canaries

Pourquoi les cristatelles apparaissent et disparaissent-elles ?

Les cristatelles vivent selon un cycle annuel. A l’approche de l’hiver, toutes les colonies vont mourir. Elles auront toutes disparu quand la température de l’eau sera descendue sous les 10 ou 12°. Mais, auparavant, elles auront constitué dans leurs tissus des statoblastes qui sont comme de petites soucoupes volantes presque microscopiques dont une face serait un peu plus bombée que l’autre.

Les statoblastes sont les « radeaux de survie » des cristatelles. A la mort de la colonie, lorsque celle-ci se décompose, la plupart des statoblastes sont libérés dans l’eau. Ils flottent et, grâce à leurs multiples petits crochets, ils vont s’attacher à des algues, à des plantes aquatiques, ou encore à des poils d’animaux ou à des plumes d’oiseaux aquatiques. Une fois l’hiver passé, au printemps voire en début de l’été suivant, quand la température de l’eau sera remontée au-dessus de 15 ou 16°, les statoblastes vont s’ouvrir et libérer un jeune individu. Ce jeune individu pourra, par clonage, produire une nouvelle colonie. Cette nouvelle colonie prendra d’abord une forme arrondie de quelques millimètres de large seulement. Ce n’est que plus tard qu’elle s’allongera peu à peu sur deux côtés pour prendre la forme caractéristique des colonies adultes.

Cristatella_Mucedo_Annales_des_sciences_naturelles_Turpin_statoblaste

Statoblaste agrandi au microscope
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cristatella_mucedo

En fait, la cristatelle est donc bien présente toute l’année dans les eaux douces qui l’hébergent mais elle échappe à notre regard sous ses formes de statoblaste et de jeune colonie. Elle ne peut être aisément vue que sous sa forme de colonie adulte… ce qui n’est plus le cas actuellement. D’où leur disparition apparente.

Si vous avez manqué les cristatelles cet été mais que vous vouliez quand même voir des bryozoaires d’eau douce sans attendre le retour de l’été prochain, un autre bryozoaire d’eau douce a été observé au Nekker pendant l’hiver : le lophopode cristallin. Son nom scientifique est Lophopus crystallinus. Ce n’est pas une cristatelle mais un membre d’une famille proche qui subsiste pendant toute l’année dans la mesure où la température reste relativement froide dans le plan d’eau.

Les lophopodes cristallins forment des colonies de couleur blanc cassé à jaune clair, d’aspect soyeux, transparentes comme de la gélatine et en forme de bouquet ou d’éventail. Les colonies peuvent atteindre une taille de 4 cm et regroupent de 2 à 40 individus d’approximativement 2 mm En forme de fer à cheval, le lophophore compte de 60 à 70 tentacules. Si la nourriture est abondante et la température de l’eau suffisamment basse, les colonies de lophopodes peuvent se multiplier rapidement et recouvrir de grandes surfaces.

Si leur présence est attestée au Nekker, peut-être des lophopodes sont-ils présents aussi dans d’autres plans d’eau ? Il ne vous reste plus qu’à les chercher et, si possible, à les trouver et à les admirer !

Lophopodus crystallinus, Mechelen Nekker, 200229 (cg)

Lophopodes cristallins photographiés
au Nekker par Cathy Grimonpont