Une première version de cet article a été publiée sur notre site en mai 2017.

La nouvelle publication ci-dessous, complétée et actualisée, a été publiée dans la revue L’Hippocampe n° 260 de la Lifras en juin 2021.

Au moment d’écrire ces lignes, les cloches de Pâques résonnent encore dans nos oreilles tandis que le déconfinement peine à se généraliser. Les voyages non essentiels ne sont plus interdits mais ils restent encore déconseillés et encadrés d’un régime strict de tests et de quarantaine obligatoires. Toutefois, nous gardons l’espoir car la perspective grandit de reprendre bientôt nos plongées dans des eaux plus lumineuses et plus chaudes que celles de nos carrières habituelles.

La mer Rouge et tout le domaine indopacifique vont nous redevenir bientôt accessibles. C’est dans cette perspective que nous allons nous intéresser à un petit poisson particulièrement emblématique de ces eaux tropicales : le poisson-clown.

Bien connu des plongeurs qui apprécient sa rencontre, le poisson-clown est peut-être le poisson exotique le plus connu du grand public depuis que, en 2003, les studios Pixar en ont fait le héros du film d’animation « Le monde de Nemo ». Dans nombre de debriefings d’après-plongée, on entend d’ailleurs souvent les plongeurs parler de « némos » en lieu et place de « poissons-clowns ». Le succès du film a transformé le prénom du héros en un nom commun et a même motivé en 2016 la sortie d’une suite : « Le monde de Dory » !

Affiche Monde de Nemo red
Le monde de Dory, visuel VOD.

Les poissons-clowns constituent une sous-famille de poissons appartenant à la famille des Pomacentridés dans l’ordre des Perciformes. On compte une trentaine d’espèces différentes de poissons-clowns. Toutes sont de taille modeste : de 6 cm pour la plus petite espèce (l’amphiprion du Pacifique) à 16 cm pour la plus grande espèce (le poisson-clown épineux).

Tous fréquentent les lagons et les récifs coralliens de la zone indopacifique et de la mer Rouge où ils vivent jusqu’à 40 m de profondeur par petits groupes en symbiose avec une anémone de mer. Ils sont omnivores : s’ils peuvent profiter de la nourriture non digérée de leurs anémones d’accueil, ils se nourrissent aussi de petits crustacés, de larve, du zooplancton de la colonne d’eau et d’algues. En cas de disette prolongée, les poissons-clowns peuvent consommer également quelques tentacules de leur anémone-hôte.

Quelques espèces de poissons-clowns

Poisson-clown à 2 bandes (Amphiprion bicinctus)

Ce poisson-clown est jaune, deux bandes claires
se détachent sur la tache sombre du dos.
Il préfère les côtés abrités des récifs frangeants.
Taille adulte : 14 cm

Poisson-clown à 3 bandes (Amphiprion ocellaris)

Il présente trois bandes blanches lisérées de noir.
Il préfère les eaux peu profondes, même troubles,
aussi bien dans les lagons qu’à l’extérieur.
Taille adulte : 15 cm

 

Poisson-clown de Clark (Amphiprion clarkii)
Photo de John Pécriaux

C’est un des poissons-clowns les plus répandus
dans l’Indopacifique. La livrée est très variable
mais les bandes blanches sont caractéristiques.
Taille adulte : 13 cm

 

Poisson-clown épineux (Premnas biaculeatus)
Photo de John Pécriaux

Trois fines barres encerclent la tête, le corps et
la base de la queue. L’éperon aigu qui coupe
la première bande facilite aussi l’identification.
Taille adulte : 16 cm

Poisson-clown rouge (Amphiprion frenatus)

La livrée des juvéniles porte 2 bandes blanches
tandis que celle des adultes n’en présente plus
qu’une seule qui tranche sur le sombre des flancs.
Taille adulte : 14cm

Poisson-clown à selle blanche (Amphiprion polymnus)

Outre les deux selles, le bord de la dorsale et de la
queue sont également liserés de blanc.
Ce poisson préfère les fonds vaseux des lagons.
Taille adulte : 13 cm

 

Les poissons-clowns sont des animaux étonnants à plus d’un titre : ils entretiennent une relation très fusionnelle avec l’anémone de mer qui les héberge, ils émettent des sons qui contribuent à structurer les groupes sociaux qu’ils constituent dans et autour de leurs anémones. Examinons ceci plus en détail.

Les poissons-clowns entretiennent des relations fusionnelles avec les anémones de mer qui les hébergent.

Cette relation est tellement étroite qu’il est difficile de photographier un poisson-clown sans avoir en même temps son anémone-hôte sur le même cliché. Chaque espèce de poisson-clown a ses préférences d’anémone-hôte. Tolérant, le poisson-clown de Clark (Amphiprion clarkii) est capable de vivre dans une dizaine d’espèces d’anémones de mer tandis que, plus sélectif, le poisson-clown rouge (Amphiprion frenatus) ne peut trouver asile que dans une seule d’entre elles.

Poissons-clowns à 2 bandes avec leurs anémones-hôtes
(Amphiprion bicinctus s’associe avec cinq espèces d’anémone : Entacmaea quadricolor,
Heteractis aurora, Heteractis crispa, Heteractis magnifica et Stichodactyla gigantea)
Photos de Philippe Legrand sur les récifs de St John’s en mer Rouge

 

Les anémones de mer sont habituellement mortelles pour les autres poissons mais les poissons-clowns s’immunisent contre leurs cellules urticantes en se frottant progressivement contre leurs tentacules dès la fin du stade larvaire.

Les poissons-clowns utilisent les anémones comme une barrière protectrice face à leurs prédateurs potentiels. Réciproquement, les poissons-clowns protègent les anémones des agressions de la part des poissons-anges, des poissons-papillons et des balistes qui sont amateurs de tentacules d’anémones. Les poissons-clowns consomment également leur nourriture au sein des tentacules et les anémones, carnivores, peuvent profiter des restes de ces repas. Enfin, les mouvements des poissons-clowns pourraient favoriser l’élimination du mucus produit en permanence par les anémones.

Les biologistes parlent de mutualisme pour qualifier cette situation dans laquelle chacun des deux partenaires profite de la présence de l’autre. Dans le cas du poisson-clown et de son anémone, chacun pourrait vivre sa vie indépendamment de l’autre mais chacun tire un bénéfice majeur de la présence de l’autre.

Les poissons-clowns émettent des sons pour communiquer entre eux.

Dès 2007, les chercheurs du Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Évolutive de l’Université de Liège sous la direction du Professeur Parmentier se sont intéressés au rôle joué par les signaux acoustiques d’agression chez les poissons-clowns. Un chercheur du Laboratoire, Orphal Colleye, a ainsi mis en évidence la manière dont les sons produits participent à la régulation des relations très hiérarchisées au sein des groupes de poissons-clowns.

Ces sons d’agression sont produits par un brusque mouvement de tête du poisson vers l’arrière qui entraîne d’abord une ouverture de la bouche puis un recul de la langue. Ceci cause alors une fermeture très rapide de la bouche et le son est émis par le claquement des dents des mâchoires inférieures contre les dents des mâchoires supérieures.

Dans de nouveaux travaux publiés en novembre 2012, Orphal Colleye a mis en lumière, à côté des sons d’agression, la présence de sons de soumission. Le mécanisme de production de ces sons de soumission est encore inconnu, on constate seulement que les mâchoires de l’animal ne bougent pas pour produire un son de soumission alors qu’elles jouent un rôle important dans l’émission des sons de domination. De plus, l’émission des sons de soumission est accompagnée d’un comportement caractéristique que les spécialistes qualifient de « headshaking » : le poisson subordonné se place de côté par rapport au dominant et frétille de la tête et du corps, ce qui engendre une onde vibratoire qui démarre au niveau de la tête avant de se poursuivre le long du corps du poisson ».

Selon Orphal Colleye, les signaux acoustiques d’agression et de soumission pourraient remplir un rôle primordial dans le mode de vie des groupes de poissons-clowns partageant la même anémone de mer. Non seulement les interactions d’agression et de soumission se révèlent extrêmement fréquentes dans ces groupes mais il apparaît également que les sons tant d’agression que de soumission sont fonction, en termes de fréquence et de durée de son, de la taille du poisson émetteur. Plus un poisson est grand, plus la durée des sons qu’il émet est longue et plus leur fréquence est basse. Autrement dit, ils sont le reflet de la hiérarchie en vigueur dans le groupe et chacun sait donc à qui il a affaire. Il est probable, selon l’analyse d’Orphal Colleye, que les signaux sonores agressifs émis par un individu hiérarchiquement supérieur à destination d’un subordonné et les signaux de soumission produits en retour par ce dernier aient pour but d’éviter des confrontations qui pourraient nuire à l’intégrité physique des belligérants potentiels. Tout se passe comme si le dominant adressait des rappels à l’ordre (« Reste à ta place, c’est moi qui commande ici ») au subordonné, lequel lui confirmerait son allégeance (« Pas de problème, c’est toi le chef »).

On peut entendre très clairement les sons émis par quelques espèces de poissons-clowns dans la sonothèque rassemblée par le Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Évolutive de l’Université de Liège en cliquant sur ce lien.

Dans et autour de leurs anémones-hôtes, les poissons-clowns vivent en groupes stables très structurés.

La structure sociale du groupe de poissons qui habitent une même anémone de mer mérite d’être observée. Un groupe est constitué d’une seule femelle, d’un seul mâle reproducteur et de jeunes mâles immatures plus ou moins nombreux. Observons quelques groupes de poissons-clowns.

Le plus gros poisson-clown, dominant socialement, est toujours la femelle. Elle est marquée d’un chiffre 1 sur les photos ci-dessus et ci-contre. Elle présente un système reproducteur femelle fonctionnel et un système reproducteur mâle dégénéré.

Le mâle reproducteur est marqué d’un chiffre 2. Il est toujours plus petit que la femelle. Il est légèrement plus petit dans certaines espèces de poissons-clowns mais il est jusqu’à deux fois plus petit dans d’autres espèces de poissons-clowns. Il a un système reproducteur mâle fonctionnel et un système reproducteur femelle latent.

Les autres poissons, plus petits encore que le mâle reproducteur, sont les juvéniles. Ce sont des jeunes mâles immatures, inactifs dans la reproduction. Ils sont marqués du chiffre 3.

Photo d’Adrian Delécluse

En cas de disparition de la femelle, les testicules du mâle reproducteur s’arrêtent de fonctionner et les ovaires s’activent, l’ancien mâle devient la nouvelle femelle dominante qui peut commencer à pondre dès le 26e jour après son changement de sexe. Le rôle de mâle reproducteur est repris par le plus gros des jeunes mâles immatures qui développe alors ses organes sexuels mâles.

Si le mâle reproducteur disparaît, rien ne change pour la femelle qui se trouve un nouveau compagnon dans la personne du plus gros des jeunes mâles immatures qui devient, à ce moment, sexuellement actif.

Tous ces changements s’opèrent rapidement et sans heurt car le groupe des jeunes poissons-clowns mâles immatures est structuré par la taille des individus et maintenu en place par les communications sonores que les poissons-clowns développent entre eux. Tout nouveau-né ou nouvel arrivant commence en bas de l’échelle sociale et il n’évolue qu’à la mort de ceux qui le précèdent dans l’ordre hiérarchique. Un individu n’atteint le sommet et ne devient femelle qu’après avoir parcouru l’ensemble de la filière pour cette anémone. Certains juvéniles, immatures, ne deviendront ainsi jamais mâles et certains mâles ne deviendront jamais femelles dominantes si cette place ne se libère pas dans le groupe social alors qu’ils sont en ordre utile pour y prétendre.

 

Photo de Philippe Legrand

Et Nemo alors ? Le dessin animé des studios Pixar nous aurait-il bernés ? Le scénario du film est attrayant et fort bien ficelé mais il repose sur une méconnaissance totale de la réalité et de la vérité scientifique. Seul rescapé des œufs déposés sur un coin de rocher au pied de l’anémone familiale, Nemo n’aurait jamais pu passer sa vie sous la protection de son père après que sa mère ait été mangée par un barracuda. Pour relier cette rubrique à l’article « Quand les poissons changent de sexe » de la précédente parution de L’Hippocampe, les poissons-clowns sont des hermaphrodites protandres. Dans la réalité, le père de Nemo serait devenu sa mère et lui-même, Nemo, prenant la place de son père, lui aurait donné une progéniture le moment venu… La recomposition des familles après la séparation des parents pose moins de problème chez les poissons-clowns que chez les humains… mais elle n’est pas forcément plus facile à expliquer aux enfants.


Les informations relatives aux poissons-clowns ont été largement inspirées par les sites :
https:// fr.wikipedia.org/wiki/Poisson-clown et
www.reflexions.uliege.be/cms/c_342594/fr/la-vie-intime-des-poissons-clowns