Une première version de cet article a été publiée sur notre site en janvier-février-mars 2020.

La nouvelle publication ci-dessous, complétée et actualisée, a été publiée dans la revue L’Hippocampe n° 261 de la Lifras en septembre 2021.

Vous êtes-vous déjà placé (ou placée) au bord d’un plan d’eau pour observer les comportements les plus fréquents des plongeurs à leur sortie de l’eau ? Un comportement parmi les plus souvent observés interpelle : le plongeur (ou la plongeuse) boit souvent (au moins) deux fois après sa sortie de l’eau. Dès le retour à son véhicule, parfois avant même de se déséquiper, le plongeur (ou la plongeuse) boit souvent seule (ou seule) à la bouteille d’eau qu’il (ou qu’elle) avait pris soin d’emmener. Une fois le matériel de plongée remisé dans la voiture, le plongeur (ou la plongeuse) boit à nouveau mais en groupe cette fois. L’eau se fait alors plus rare, la variété des boissons s’agrandit en fonction des apports des membres du groupe et des disponibilités de la cafétaria adjacente au plan d’eau. Bien qu’elle soit nécessairement limitée par les conditions du trajet pour rejoindre ensuite son domicile, cette seconde ingestion de boissons peut parfois se répéter sur un rythme plus ou moins soutenu quand la météo et l’ambiance dans le groupe s’y prêtent

Barges d, 210627

C’est à ce moment souvent de grande convivialité que j’aime poser à mes amis plongeurs assoiffés (et à mes amies plongeuses assoiffées) les questions perturbantes : les poissons que nous venons de voir en plongée et qui sont restés dans l’eau peuvent-ils, comme nous, avoir soif ? Sont-ils obligés, comme nous, de boire régulièrement pour rester en vie ? Du non-breveté encore en initiation au moniteur national, c’est dans la perplexité que bon nombre d’interlocuteurs replongent alors !

Certes, pendant nos plongées, nous avons bien vu que les poissons ouvraient largement la bouche pour aspirer de l’eau. Ils la font passer par leurs branchies et ils la rejettent ensuite par leurs opercules, c’est leur façon de respirer. Mais, en plus de cette eau avalée et immédiatement rejetée après son passage dans les branchies, les poissons boivent-ils de l’eau qu’ils avalent vraiment dans leur système digestif et qu’ils conservent en eux comme nous le faisons lorsque nous buvons parce que nous avons soif ?

Dans un premier temps, je vais répondre « Oui. C’est peut-être surprenant mais les poissons boivent comme nous ». On pourrait croire que les poissons n’ont pas besoin de boire puisqu’ils vivent dans l’eau. Pourtant, s’ils ne buvaient pas, ils ne pourraient pas vivre et ils mourraient déshydratés comme nous nous déshydratons quand nous ne buvons pas suffisamment ! Heureusement, boire n’est pas compliqué pour les poissons : il leur suffit d’ouvrir la bouche, de laisser entrer l’eau et d’en avaler une partie dans leur estomac au lieu de la rejeter après son passage dans leurs branchies.

Oui, tous les poissons doivent boire pour s’hydrater.

Mais la situation est très différente pour les poissons d’eau douce et pour les poissons de mer. Les poissons d’eau douce boivent peu et moins souvent que les poissons qui vivent dans les eaux salées des mers ou des océans. Si un poisson de mer ne boit pas assez, il peut mourir de soif. À l’inverse, si un poisson d’eau douce boit trop, il peut gonfler jusqu’à éclater ! Comment cela se fait-il ? Pourquoi cette différence ?

Cette différence entre poissons d’eau douce et poissons de mer s’explique par l’osmose. L’osmose est un phénomène de diffusion : une membrane semi-perméable entre deux liquides ou solutions laisse passer le solvant mais pas la substance dissoute. La diffusion du solvant se fait de la zone de forte concentration vers la zone de basse concentration. Elle tend à égaliser les concentrations. Dans le cas des poissons, l’osmose s’effectue à travers leur peau et à travers toutes leurs membranes cellulaires car elles sont toutes semi-perméables, elles laissent toutes passer de petites molécules comme l’eau (H₂O) mais elles bloquent les plus grosses molécules, notamment les sels minéraux.

Or, le poisson d’eau douce est plus salé que l’eau dans laquelle il évolue tandis que le poisson de mer est beaucoup moins salé que l’eau dans laquelle il évolue.

La salinité moyenne de l’eau douce
est de 0 à 1 0/00.

 

La salinité moyenne de la chair
des poissons d’eau douce
est de 8 à 10 0/00.

 

Les poissons d’eau douce sont plus salés
que leur environnement.

La salinité moyenne de l’eau de mer
est de +/- 35 0/00.

 

La salinité moyenne de la chair
des poissons de mer
est de 8 à 14 0/00.

 

Les poissons de mer sont moins salés
que leur environnement.

Observons quelques poissons fréquemment rencontrés lors de nos plongées en eau douce dans nos lacs et carrières ou lors de nos plongées en eau de mer en Zélande :

Quelques poissons d’eau douce

Un brochet
(Photo de Pierre-Bernard Demoulin)

Une carpe
(Photo de Pierre-Bernard Demoulin)

Une perche
(Photo de Pierre-Bernard Demoulin)

Un esturgeon
(Photo de Philippe Legrand)

Quelques poissons de mer

Un cabillaud 

Un lieu jaune

Un syngnathe

Une plie

Tous les poissons d’eau douce sont
plus salés que leur environnement.

Tous les poissons de mer sont
moins salés que leur environnement.

Comme nous l’avons vu plus haut, le passage de l’eau par osmose à travers les membranes semi-perméables d’un poisson se fait toujours du milieu le plus salé vers le milieu le moins salé, comme si la nature voulait rééquilibrer les deux milieux.

Quelques poissons d’eau douce

Photo de Philippe Legrand

Comme tous les poissons d’eau douce,
ce gardon est plus salé
que son environnement.
Par osmose, l’eau pénètre dans son corps
et entraîne une diminution relative
de sa salinité.

Quelques poissons de mer

Photo de Philippe Legrand

Comme tous les poissons de mer,
ce chaboisseau est moins salé
que son environnement.
Par osmose, l’eau quitte son corps
et entraîne une augmentation relative
de sa salinité

Si rien ne compensait cette situation,

  • tous les poissons verraient leur métabolisme complètement perturbé par les modifications de leurs salinités intérieures, les poissons d’eau douce manqueraient de sels minéraux alors que les poissons de mer en auraient trop ;
  •  les poissons d’eau douce gonfleraient jusqu’à éclater tandis que les poissons de mer se dessécheraient complètement !

Mais la nature est bien faite et elle apporte les compensations nécessaires. Revenons à la question initiale « Les poissons boivent-ils ? » en précisant nos réponses selon les types de poissons, d’eau douce ou de mer.

En ce qui concerne les poissons d’eau douce

Par osmose, l’eau pénètre dans leurs corps au travers de la peau. Ils limitent cette entrée d’eau par leurs écailles et par le mucus qui les recouvre (Une raison de plus de ne pas toucher les poissons d’eau douce pendant nos plongées).

Pour évacuer l’eau en excès dans leurs corps, ils boivent très peu mais urinent en grande quantité une urine très diluée..

Tous les poissons possèdent des cellules spéciales dans leurs branchies. On les appelle des pompes à chlorures. Chez les poissons d’eau douce, ces pompes à chlorures captent les sels minéraux dissous dans l’eau douce et les transfèrent à l’intérieur du corps du poisson pour maintenir un taux de salinité suffisant à l’intérieur de l’organisme.

Un omble de fontaine

En ce qui concerne les poissons de mer

Un gobie à Dreischor

Par osmose, les poissons de mer se vident de leur eau et se déshydratent. Cette perte d’eau est limitée par la présence des écailles et par la sécrétion de mucus (Une raison de plus de ne pas toucher les poissons de mer pendant nos plongées).

Pour compenser ces pertes d’eau, les poissons de mer doivent boire de grandes quantités. Un poisson de mer boit en moyenne 20 à 25 % de son poids par jour, jusqu’à 40 % parfois selon les espèces et la salinité du milieu.

Pour limiter leurs pertes en eau, ils doivent aussi uriner le moins possible et leur urine doit être la plus concentrée possible pour évacuer le plus de sels minéraux possibles avec le moins d’eau possible.

Les pompes à chlorures des poissons de mer fonctionnent à l’inverse des pompes à chlorures des poissons d’eau douce. Chez les poissons de mer, ces pompes enlèvent le surplus de sels minéraux dans l’organisme des poissons et le rejettent à l’extérieur par les branchies.

Nous pouvons résumer notre réponse dans le tableau ci-dessous :

Quelques poissons d’eau douce

Un brochet
Photo de Pierre-Bernard Demoulin

Les poissons d’eau douce boivent très peu.

Ils urinent en grande quantité
une urine très diluée.

Les pompes à chlorures de leurs branchies
captent les sels minéraux dissous dans l’eau et les transfèrent à l’intérieur de leurs corps.

Quelques poissons de mer

Un mulet

Les poissons de mer boivent beaucoup.

Ils urinent en petite quantité
une urine très concentrée.

Leurs pompes à chlorures captent
les excès de sels minéraux
dans leurs organismes
et les expulsent dans l’eau des branchies.

Un poisson peut-il avoir soif ? Doit-il boire comme nous quand nous avons soif ? Vous maîtrisez maintenant parfaitement cette problématique et vous pourrez même briller lors d’un prochain débriefing… surtout si votre binôme n’a pas lu L’Hippocampe aussi attentivement que vous !

Les informations de cette rubrique ont été notamment inspirées par les sites :
https://www.zooantwerpen.be/files/preview/vraagbaakfrzooantwerpenplanckendael.pdf/
https://animalaxy.fr/est-ce-que-les-poissons-boivent-de-leau/
https://www.aquariophilie-aquarium.fr/Eau/Qualite-eau/osmose.html
https://fr.vikidia.org/wiki/Osmose

Merci à Pierre-Bernard Demoulin et à Philippe Legrand pour le prêt de leurs photos.