La Lifras vient de publier un livret très intéressant : « La biologie expliquée aux plongeurs, une découverte continue ». Il est possible de le commander pour 5 € via le secrétariat de notre club Nérée. Ce bel ouvrage auquel j’ai eu le plaisir de collaborer présente une classification actualisée des principaux organismes que nous pouvons rencontrer en plongée.

Nous allons nous intéresser aujourd’hui à un des embranchements peut-être le plus étonnant de cette classification : les tuniciers.

On compte plus ou moins 1.300 espèces de tuniciers, toutes marines. Elles doivent leur nom à cette enveloppe plus ou moins épaisse qui englobe et protège leur corps et que l’on appelle la tunique.

Commençons par observer quelques ascidies. Ce sont des tuniciers très facilement observables lors de nos plongées en Zélande ou en Méditerranée.

source: « La biologie expliquée aux plongeurs: une découverte continue« , LIFRAS, commission scientifique, édition 2021

Une ascidie jaune (Ciona intestinalis) à Dreischor en Zélande

 

Une ascidie plissée (Styela clava) à Wolphaartsdijk en Zélande

Une ascidie sale (Ascidiella aspersa)  à den Osse en Zélande

Un violet (Microcosmus sulcatus) à Marmaris en Turquie

Une ascidie rouge (Halocynthia papillosa) à Marmaris en Turquie

 

Une autre ascidie rouge (Halocynthia papillosa)
à L’Estartit en Espagne

Un premier sujet d’étonnement

Les tuniciers vivent à l’intérieur d’une « enveloppe » qui leur sert d’exosquelette. Cette enveloppe qu’on appelle la tunique a donné son nom aux tuniciers. La tunique est étonnante car elle est composée de cellulose. C’est une caractéristique très rare dans le monde animal où les parois cellulaires sont généralement composées de protéines. C’est dans le monde végétal que les parois cellulaires sont généralement composées de cellulose. Le tunicier est bel et bien un animal et non un végétal mais ses parois cellulaires et sa tunique sont bel et bien constituées de cellulose. C’est un premier sujet d’étonnement.

Un deuxième sujet d’étonnement

Le deuxième sujet d’étonnement à propos des tuniciers tient à une étape particulière de leur développement : le stade larvaire. La reproduction des tuniciers est sexuée : lorsqu’un gamète mâle, en pleine eau, rencontre un gamète femelle, il y a fécondation. Un œuf se développe et donnera une larve. La larve des tuniciers a la forme d’un têtard et mesure de 2 à 3 mm de longueur seulement. Elle possède une queue présentant un axe, appelé corde dorsale ou notocorde. Elle est colorée en bleu sur le schéma ci-dessous. Cette notocorde est l’ébauche de la colonne vertébrale des vertébrés parmi lesquels on aurait envie de classer la larve de tunicier.

La larve se développe et devient ensuite un nouveau tunicier adulte. Mais, au terme de mutations successives, le tunicier adulte a perdu cette ébauche de colonne vertébrale, il est redevenu pleinement invertébré !

Evolution de la larve d’ascidie vers l’ascidie adulte
(Source : https://blogplongee.fr/wp-content/uploads/2011/11/cours-biologie-marine-tuniciers-ppt.pdf)

Ce passage par un stade vertébré avant le retour à une situation invertébrée n’est connu chez aucun animal autre que les tuniciers ! C’est un deuxième sujet d’étonnement.

Un troisième sujet d’étonnement

Les tuniciers sont des animaux filtreurs actifs, ils se nourrissent de particules organiques en suspension dans l’eau et de plancton. Ils contribuent ainsi à l’épuration de l’eau. Une ascidie de quelques centimètres de haut est capable de filtrer de 30 à 150 litres d’eau par jour pour les plus grosses et d’éliminer 95% des bactéries.

Les particules et le plancton sont aspirés dans l’ascidie par le siphon buccal supérieur. A l’entrée du pharynx, des tentacules buccaux reliés au ganglion nerveux empêchent les particules trop grosses de pénétrer dans le pharynx en stimulant la fermeture des siphons. L’eau absorbée est filtrée par le pharynx au niveau de ses microcavités tapissées de muqueuses qui retiennent les particules alimentaires. Les particules seront digérées dans l’estomac puis conduites dans l’intestin avant d’être rejetées par l’anus dans le flux d’eau rejeté par le siphon cloacal latéral.

L’anatomie des tuniciers paraît peut-être rudimentaire mais elle est bien plus évoluée que celle des éponges par exemple. Ainsi, on note chez les tuniciers la présence d’un cœur et d’une circulation sanguine. Le cœur assure la circulation du sang mais sans système veineux, au travers de petites cavités, comme des sinus, réparties dans les tissus. Contrairement au cœur humain, le cœur de l’ascidie fonctionne de façon alternative. Il aspire le sang durant une centaine de cycles puis inverse le mouvement pour chasser le sang pendant la même durée vers les sinus sanguins. Un tel fonctionnement cardiaque est unique dans le monde animal. C’est un troisième sujet d’étonnement.

Un quatrième sujet d’étonnement

Les ascidies sont des animaux hermaphrodites alternatifs : elles possèdent à la fois un ovaire et un testicule. Les gamètes femelles de l’ovaire et les gamètes mâles du testicule sont amenés par des canaux différents dans la cavité péri-branchiale puis expulsés par le siphon cloacal. Pour éviter l’autofécondation au moment de l’expulsion et permettre un brassage du capital génétique, ovaire et testicule fonctionnent alternativement. Les gamètes mâles et femelles d’une même ascidie ne risquent donc pas de se rencontrer lors de l’expulsion puisqu’ils ne sont pas produits simultanément.

La fécondation aura lieu en pleine eau entre gamètes provenant d’ascidies différentes mais de la même espèce et donnera naissance à une larve que nous avons déjà évoquée ci-dessus. Cette coordination pour alterner les fonctionnements des organes reproducteurs mâle et femelle au sein de la même ascidie est un quatrième sujet d’étonnement.

Un cinquième sujet d’étonnement

Nous n’avons jusqu’à présent observé que des ascidies mais le monde des tuniciers est bien plus vaste. Les ascidies sont des animaux solitaires mais d’autres tuniciers se sont organisés en colonies. Si la structure individuelle de chaque tunicier reste globalement identique, l’apparence de la colonie se modifie complètement par rapport au tunicier solitaire.

Observons quelques tuniciers coloniaux photographiés lors de plongées récentes en Zélande :

Un botrylle orange (peut-être Botryloides diegensis)
à Dreischor en Zélande

Un botrylle rose (peut-être Botryloides leachi)
à Scharendijke en Zélande

Un botrylle violet (Botryloides violaceus)
à Scharendijke en Zélande

 

Un botrylle étoilé (Botrylus schlosseri)
à Zoetersbout en Zélande

 

Un didemne (peut-être Didemnum helgolandicum)
à Dreischor-Gemaal en Zélande

Un autre didemne (peut-être Diplosoma spongiforme)
à Oesterdam en Zélande

Les colonies de tuniciers ressemblent à des éponges avec lesquelles elles peuvent parfois être confondue en plongée. La différenciation nécessite souvent le recours au microscope qui éclaire le fonctionnement de la colonie : chaque individu a conservé son siphon buccal individuel et son pharynx pour apporter l’eau et filtrer les aliments mais les organes digestifs, reproducteurs et circulatoires et les siphons cloacaux pour évacuer l’eau ont été mis en commun.

Dans la tunique extérieure commune à toute la colonie, chaque individu conserve son approvisionnement extérieur direct et son « chez soi ». Le fonctionnement du tunicier individuel est préservé à l’intérieur de la tunique commune. La différence la plus notoire entre le tunicier solitaire et le tunicier colonial s’observe au niveau de la reproduction. Chez le tunicier solitaire, la fécondation s’opère en pleine eau. La situation est un peu différente chez les ascidies coloniales, la fécondation s’effectue dans le cloaque commun et ce n’est qu’une fois la larve formée qu’elle est expulsée à l’extérieur de la colonie. Cette juxtaposition d’une structure solitaire et d’une structure coloniale au sein d’un même sous-embranchement est un cinquième sujet d’étonnement.

Un sixième sujet d’étonnement

Tous les tuniciers observés jusqu’à présent sont tous sessiles : ils vivent fixés sur les fonds marins. D’autres tuniciers ont développé un mode de vie pélagique : ils se déplacent en pleine eau. C’est notamment le cas de la colonie de salpes photographiée par John à Phi Phi en Thaïlande en 2017.

Les colonies de salpes peuvent atteindre jusqu’à 40 m de longueur. Elles se rencontrent dans les mers chaudes et tempérées où les populations peuvent connaître des périodes de forte prolifération en fonction du phytoplancton dont elles se nourrissent.

Le corps de chacun des individus de la colonie de salpes est plus ou moins tubulaire et translucide. Le siphon buccal et le siphon cloacal se trouvent aux extrémités de l’animal. Chaque individu possède une série de muscles circulaires discontinus autour du corps qui, en se contractant, lui permettent de se déplacer. Les colonies se déplacent elles aussi grâce à la contraction simultanée des muscles des différents individus. Ces tuniciers de pleine eau nous fournissent notre sixième sujet d’étonnement

Un septième sujet d’étonnement

Comme tous les animaux, les tuniciers ont des prédateurs qui s’en nourrissent. On imagine aisément, en pleine eau, l’œuf et la larve du tunicier dévorés par un animal filtreur. On imagine aisément, sur le fond marin, un tunicier adulte solitaire ou colonial dévoré par un poisson qui aurait trouvé cette nourriture à son goût. Mais c’est un autre prédateur plus inattendu du tunicier qui nous apporte le septième sujet d’étonnement.

Photos extraites d’un vidéo filmée en Méditerranée par Pascal Boël en juillet 2021
sur la Pointe de la Galère à Port-Cros (France, département du Var)

Le tunicier au centre de l’image est complètement décoloré. Il vit un énorme problème : il est envahi par un ver parasite que l’on distingue à l’intérieur de la tunique devenue transparente. Ce ver s’est faufilé à travers le siphon branchial du tunicier et il se nourrit des organes internes du tunicier. Le repas du ver dure de 3 à 7 jours puis le ver se déplace vers une autre proie, laissant derrière lui une tunique devenue transparente et vide. De telles images sont rares car elles ne peuvent être prises que lorsque le ver a suffisamment affaibli le tunicier pour que sa tunique devienne transparente mais avant que le ver ayant dévoré tous les organes du tunicier ne s’en aille à la recherche d’une autre proie.

Les tuniciers, à eux seuls, nous apportent sept sujets d’étonnement. Lors de vos prochaines plongées en mer, regardez-les avec attention et vous vous en émerveillerez, vous aussi.

Lors de vos prochaines plongées en eau douce, vous ne rencontrerez pas de tuniciers puisqu’ils sont exclusivement marins. Cependant, il existe aussi dans nos plans d’eau des sujets d’étonnements qui attendent que vous les observiez. Alors, peut-être, palmerez-vous moins et moins vite, peut-être regarderez-vous davantage et vous émerveillerez-vous aussi davantage de ce que la nature offre à votre regard.
Bonnes plongées quels que soient vos choix.