Quels noms donner aux organismes que nous rencontrons ?
(octobre-novembre-décembre 2019)
Commençons par rappeler un petit dialogue entendu entre participants pendant notre séjour à L’Estartit à propos d’un animal croisé en plongée :
« Elle : Comment s’appelle encore cet animal qui a 8 tentacules autour de la tête ?
Plongeur 1 : C’est un poulpe.
Plongeur 2 : Non, ce n’est un poulpe, c’est une pieuvre !
Plongeur 1 : Non, je t’assure que ce n’est pas une pieuvre, c’est un poulpe ! »
Le dialogue aurait pu continuer longtemps car les deux plongeurs avaient tous les deux raison : le poulpe et la pieuvre sont deux noms qui désignent un seul et même animal.
Poulpe et pieuvre sont deux noms communs qui ont été donnés à un seul et même animal.
Comment expliquer cette situation ?
Partout dans le monde et dans toutes les langues, les êtres humains ont donné des noms aux choses et aux êtres qui les entouraient. Ce sont des noms qu’on appelle aujourd’hui noms communs ou noms vernaculaires.
En biologie, malgré leurs imprécisions, ils sont très utilisés dans le langage courant et font partie de la culture locale. Il faut reconnaître que beaucoup de ces noms communs ou vernaculaires ne posent à première vue pas de problème apparent de reconnaissance et de communication :
Appeler cet animal un crabe ne semble poser aucun problème.
Appeler ces poissons des rougets ne semble poser aucun problème.
Appeler ce poisson un barracuda ne semble poser aucun problème.
Appeler cet animal une tortue ne semble poser aucun problème.
Et pourtant, les noms communs ou vernaculaires posent beaucoup de problème dans leur utilisation au-delà d’un cercle restreint de personnes proches.
Prenons l’exemple du nom « crabe » que l’on pourrait facilement appliquer aux 2 photos ci-dessous :
Les deux « crabes » appartiennent à des espèces bien différentes alors que nous leur attribuons pourtant le même nom de « crabe ».
Le n° 1 est le plus souvent appelé crabe vert mais il est aussi appelé crabe enragé par les francophones alors que les néerlandophones et les germanophones l’appellent crabe de plage. Si les anglophones l’appellent crabe vert comme les francophones, ils utilisent en plus la dénomination de crabe de rivage.
Le n° 2 est le plus souvent appelé crabe dormeur mais il est aussi appelé selon les différentes régions francophones, tourteau, dormeur, poupard ou poupart, crabe-de-lune, poing-clos ou clos-poing, ou encore ouvet. Les néerlandophones l’appellent crabe de la mer du Nord, les anglophones l’appellent crabe comestible et les germanophones crabe massif.
Un seul et même organisme peut donc avoir des tas de noms communs différents mais, inversement, un même nom commun peut désigner des tas d’organismes différents ! Prenons l’exemple du bar ci-dessous, un poisson que nous pouvons régulièrement apercevoir lors de nos plongées en Zélande et à l’Estartit.
Selon les régions où on le rencontre, le bar peut être appelé bar commun, bar européen, loup ou perche de mer. Dans le bassin d’Arcachon, on appelle un bar une loubine tandis qu’en Bretagne on l’appelle un drenek !
Ce n’est pas tout : le nom vernaculaire « bar » peut désigner également d’autres poissons dans d’autres régions.
Ainsi, dans la famille du bar, quatre autres espèces de poissons héritent également de la même dénomination commune de bar.
Dans la famille des corbs que nous avons croisés à L’Estartit, deux espèces portent aussi le nom commun de bar.
Dans la famille des mérous, les espèce Serranus scriba et Serranus cabrilla portent aussi le nom vernaculaire de bar. Enfin, sachez que si un poissonnier ou un restaurateur vous propose du bar noir, vous mangerez en fait du mérou !
Les corbs (photo de gauche), la perche de mer (photo du milieu) et le mérou (photo de droite) sont, dans certains régions, identifiés et/ou vendus comme « bars ».
Devant autant de confusions possibles, comment s’y retrouver alors ?
En utilisant non pas le nom commun mais le nom scientifique unique qu’une Commission internationale siégeant à Paris a attribué à chaque organisme sur la base d’un dossier complet déposé par la personne qui a, la première, découvert cet organisme.
Le nom scientifique est, dans le monde entier, toujours donné en latin. Dans sa forme complète, il comporte toujours et obligatoirement :
- un nom qui correspond au genre et qui commence toujours par une majuscule ;
- une épithète qui commence par une minuscule et qui désigne l’espèce spécifique au sein du genre ;
- le nom de la personne qui a identifié pour la première fois l’organisme en question ;
- la date de cette identification.
Pour le distinguer facilement, le nom scientifique s’écrit en italique s’il se trouve dans un texte en caractères droits tandis qu’il s’écrit en caractères droits s’il est cité dans un texte en italique.
Ainsi notre crabe vert au numéro 2 ci-dessus s’appelle officiellement Carcinus maenas, Linné 1758 et notre crabe dormeur ou tourteau au numéro 1 s’appelle officiellement Cancer pagurus, Linné 1758. Plus aucune confusion n’est possible et tous les scientifiques du monde se comprennent.
Se comprendre avec exactitude, voilà ce qui doit présider au choix du nom que nous utiliserons avec bon sens pour parler avec nos interlocuteurs.
Après une plongée au Barrage de l’Eau d’Heure, vaut-il mieux dire au chef d’école que vous avez vu une belle écrevisse du Pacifique reconnaissable à la tache blanche à la base de sa pince ou que vous avez vu une Pacifastacus leniusculus ?
Chez votre poissonnier, est-il plus simple de lui demander une belle plie ou un beau carrelet ou une belle Pleuronectes platessa ?