Une première version de cet article a été publiée sur notre site en janvier-février 2017

La nouvelle publication ci-dessous, complétée et actualisée, a été publiée dans la revue L’Hippocampe n° 262 de la Lifras en décembre 2021.

Les fêtes de fin d’année approchent à grands pas et les produits de la mer vont bientôt remplir les devantures des magasins. Parmi ces produits de la mer, l’huître occupe souvent une place centrale. C’est donc à elle que nous allons consacrer cette rubrique en suivant ce surprenant coquillage des fonds marins où nous avons l’habitude de le croiser, parfois sans plus y faire beaucoup attention, jusqu’à notre table de fête.

L'huître ? Non, deux huîtres !

L’appellation courante de « huître » recouvre en fait deux coquillages différents : l’huître creuse et l’huître plate.

L’huître creuse est la plus répandue dans nos régions. Elle répond au nom scientifique de Crassostrea gigas. C’est elle que nous apercevons sur la quasi-totalité des fonds marins lors de nos plongées en Zélande.

Selon les endroits, l’huître creuse Crassostrea gigas est aussi appelée huître japonaise, huître du Pacifique ou huître portugaise. D’une dimension maximale qui atteint 30 cm chez les plus grands individus, la coquille a une forme allongée. La partie inférieure est très nettement creusée tandis que la partie supérieure présente une surface plus plate avec des arêtes coupantes concentriques.

Huîtres creuses Crassostrea gigas
en Zélande, découvertes par la marée sur l’estran de Franse Trap à Yerseke

 

Huîtres creuses Crassostrea gigas
en Zélande, en plongée sur le fond à Wolphaartsdijk

L’huître plate répond au nom scientifique de Ostrea edulis. En Zélande, elle est beaucoup moins répandue que l’huître creuse et il faut être attentif pour en débusquer quelques spécimens lors d’une plongée.

Huître plate Ostrea edulis
en Zélande, en plongée sur le fond à Bommenede

Huîtres plates Ostrea edulis
en plongée sur le fond en baie de Saint-Malo

 

La taille de la coquille de l’huître plate est de forme plutôt ronde, elle ne dépasse que très rarement les 10 cm. La partie inférieure de la coquille n’est que très légèrement creusée, la partie supérieure est plate et feuilletée d’écailles positionnées comme des tuiles. En France, l’huître plate Ostrea edulis est commercialisée sous le nom de « belon ». Elle est alors originaire de Bretagne ou des bassins de Marennes-Oléron et d’Arcachon même si ces régions produisent également des huîtres creuses.

Pourquoi deux sortes d'huîtres sur un même site ?

Jusqu’au milieu du 19° siècle, les huîtres plates Ostrea edulis étaient les seules huîtres indigènes des côtes de l’Atlantique nord-est. On les trouvait de façon pratiquement continue de la Norvège au Maroc. Malheureusement, ces huîtres plates sont plus sensibles au froid et aux maladies et la production en était irrégulière.

Ainsi, en Zélande, après la période de grand gel de l’hiver 1962-1963 et la mortalité due au virus de l’huître dans les années 1980, la population d’huîtres plates s’est trouvée décimée. Incapables de répondre aux demandes de plus en plus importantes des consommateurs et pour pallier les manques de production, les ostréiculteurs zélandais ont importé massivement des huîtres creuses Crassostrea gigas originaires notamment du Japon et du Pacifique nord-ouest. Nombre d’ostréicultures européens les avaient déjà précédés dans ces importations et d’autres encore leur ont emboîté le pas.

Mais les huîtres creuses sont devenues invasives, posant de multiples problèmes écologiques et économiques, recouvrant entièrement les substrats rocheux ou vaseux, voire formant localement de véritables récifs. Extrêmement coupantes, elles représentent aussi un danger pour les baigneurs, les promeneurs et les plongeurs : nous savons combien nos gants, nos bottines et nos palmes peuvent souffrir lors de certaines plongées en Zélande !

De nos jours, l’huître plate de Zélande se rétablit lentement mais progressivement dans son milieu naturel. Tant chez les ostréiculteurs de Zélande que chez les ostréiculteurs français, bien qu’elles restent encore très minoritaires à la vente, les huîtres plates côtoient de plus en plus les huîtres creuses. Ainsi, en 2018, les ostréiculteurs zélandais ont mis en vente quelque 700.000 huîtres plates pour 15 à 20 millions d’huîtres creuses.

La reproduction des huîtres

L’huître présente un hermaphrodisme successif : elle est, tour à tour, mâle et femelle au cours de sa vie. Une huître de deux ans peut ainsi changer plusieurs fois de sexe au cours d’un même été. A la fin de l’hiver et jusqu’en juillet, certaines huîtres adultes rejettent dans l’eau des gamètes mâles au moment où d’autres rejettent des gamètes femelles. Une huître creuse libère entre 20 et 100 millions de gamètes par ponte, une huître plate seulement un million.

La fécondation a lieu en pleine eau, dans le flot de la marée. S’il est fécondé, l’œuf donne une larve planctonique qui, au bout de 3 semaines environ, va se fixer sur un support dur.

Une fois fixée, la larve devient naissain. Elle ne mesure encore qu’un tiers de millimètre à ce moment mais elle commence sa métamorphose et le développement de ses organes d’adulte. Elle retient dès ce moment toute l’attention et tous les soins de l’ostréiculteur qui va l’élever.

L'élevage des huîtres

Dotées d’une grande capacité d’adaptation et d’une croissance rapide, les huîtres sont aujourd’hui l’espèce la plus cultivée au monde. L’ostréiculture dépasse en volume de production toutes les autres espèces de poissons, de mollusques ou de crustacés. L’élevage des huîtres comporte trois étapes : la récolte du naissain, l’élevage en parcs et l’affinage..

La récolte du naissain

Les ostréiculteurs recueillent le naissain principalement en juillet et en août. Ils disposent des collecteurs près des bancs d’huîtres sauvages. Les collecteurs sont des supports sur lesquels les larves d’huître vont se fixer sans s’agglomérer les unes aux autres. Jadis, on utilisait des tuiles chaulées comme collecteurs. Actuellement en Zélande, il s’agit surtout de coquilles de moules récupérées dans les conserveries. En France, on continue plutôt à utiliser les collecteurs chaulés (des tuiles et des coupelles) ou des tubes en plastique.

Les collecteurs sont relevés au printemps suivant. Ils sont nettoyés du naissain qui s’y est fixé et ce naissain est placé en parcs d’élevage. L’été, les collecteurs sont replacés en milieu naturel pour offrir un socle de fixation au naissain de l’année suivante.

Collecteurs de naissain en France dans le bassin d’Arcachon
(Source : http://france3-regions.francetvinfo.fr/)

Naissain récolté dans le bassin d’Arcachon
(Source : http://www.francenaissain.com)

Le développement en parcs d’élevage

Après avoir été récolté sur les collecteurs, le naissain va être transporté dans des parcs d’élevage. Les parcs d’élevage sont des parcelles répertoriées qui sont louées par les autorités aux ostréiculteurs. Ainsi, en Zélande, 1.550 hectares de parcelles sont loués dans l’Oosterschelde et 500 hectares dans le Grevelingen. L’eau y est propre et riche en nourriture, le courant y est fort. L’apport en aliments est donc continu et le développement de l’huître est optimal.

Traditionnellement, les ostréiculteurs zélandais élevaient leurs huîtres en les plaçant simplement sur les fonds marins de leurs parcelles et ils les récupéraient par dragage. Les ostréiculteurs français préféraient, surtout sur la côte atlantique, la technique d’élevage en surélevé qui consiste à élever les huîtres sur un tréteau installé sur l’estran. Les huîtres sont alors installées dans des poches qui évitent leur dispersion et facilitent leur récupération.

Elevage surélevé en poches sur tréteaux en France

Collecteurs de naissain en France dans le bassin d’Arcachon
(Source : http://france3-regions.francetvinfo.fr/)

Naissain récolté dans le bassin d’Arcachon
(Source : http://www.francenaissain.com)

Aujourd’hui, les techniques d’élevage des huîtres sont en pleine évolution : des ostréiculteurs français disposent librement leurs huîtres sur les fonds marins de leurs parcelles tandis que des ostréiculteurs zélandais élèvent les leurs dans des poches sur des tréteaux ou dans des « paniers australiens ». Aujourd’hui, quand la mer se retire à Yerseke, la marée basse découvre des paysages encore inconnus il y a 4 ans.

Qu’il élève ses huîtres sur le fond ou surélevées, l’ostréiculteur les manipulera régulièrement pour éviter qu’elles se soudent entre elles en amalgames non commercialisables et, en Zélande, il les déplacera vers d’autres parcelles en moyenne deux fois par an afin de leur permettre de se développer de façon optimale.

3 photos du même estran en 2021.

L’affinage

Après 3 ans pour les huîtres creuses et 5 ans pour les huîtres plates, celles-ci sont prêtes à être consommées. Elles sont draguées à l’aide de filets que l’on traîne sur le fond des parcelles ou sorties de leurs poches ou de leurs paniers si elles ont été élevées hors sol. Elles sont amenées dans des bassins d’affinage qu’on appelle des claires en France et des oesterputten en Zélande. Les huîtres y restent une huitaine de jours. En filtrant de l’eau propre, elles se débarrassent du sable et de la boue. Les bassins d’affinage sont alternativement remplis et vidés pour entraîner les huîtres à fermer leur coquille plus longtemps et, ainsi, à rester fraîches à sec plus longtemps.

Parcs d’affinage (Oesterputten) à Yerseke en 2018

En 2021, les poches (photo de gauche) et les paniers australiens (photo de droite)
ont fait une irruption massive dans le paysage ostréicole zélandais.

Ultime préparation des huîtres avant leur emballage et leur commercialisation

L’achat de vos huîtres

Dans les prochains jours, les étalages des poissonniers et des grands magasins déborderont d’huîtres. Comment s’y retrouver et acheter celles qui auront le plus de chance de vous séduire ?

Trois considérations doivent vous guider. Le type d’huître, plate ou creuse, déterminera la texture de la chair de l’huître. L’origine de l’huître influencera son goût et la taille de l’huître aura un impact sur la façon de la consommer : il est préférable de déguster les petites huîtres froides mais de préparer les plus grandes en recettes chaudes.

Pour vous compliquer un peu la tâche, il n’existe pas encore de standardisation internationale des tailles d’huîtres.

En ce qui concerne les huîtres de Zélande, les tailles des huîtres creuses sont exprimées à l’aide de chiffres romains tandis que les tailles des huîtres plates sont exprimées à l’aide de zéros :

Huîtres creusesHuîtres plates
Appellation : IV
Huîtres de moins de 80 g
Appellation : 1/0
Huîtres de 40 à 50 g pièce
Appellation : III
Huîtres de 80 à 120 g
Appellation : 2/0
Huîtres de 50 à 60 g pièce
Appellation : II
Huîtres de 120 à 150 g
Appellation : 3/0
Huîtres de 60 à 70 g pièce
Appellation : I
Huîtres de 150 à 200 g
Appellation : 4/0
Huîtres de 70 à 80 g pièce
Appellation : 0
Huîtres de plus de 200 g
Appellation : 5/0
Huîtres de 80 à 90 g pièce
Appellation : 6/0
Huîtres de 90 à 110 g pièce
Appellation : 6/0 super
Huîtres de plus de 110 g

La classification française des huîtres distingue également les huîtres plates et les huîtres creuses mais sur des échelles complètement différentes :

Huîtres creusesHuîtres plates
Appellation : 5
Huîtres de 30 à 45 g
Appellation : 000
de 10 à 12 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 4
Huîtres de 46 à 65 g
Appellation : 00
de 9 à 10 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 3
Huîtres de 66 à 85 g
Appellation : 0
au moins 8 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 2
Huîtres de 86 à 120 g
Appellation : 1
au moins 7 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 1
Huîtres de 121 à 150 g
Appellation : 2
au moins 6 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 0
Huîtres de plus de 150 g
Appellation : 3
au moins 5 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 4
au moins 4 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 5
au moins 3 kg
pour 100 huîtres
Appellation : 6
au moins 2 kg
pour 100 huîtres

La dégustation de vos huîtres

Si vous souhaitez organiser votre toute première dégustation d’huîtres, privilégiez les huîtres plates. Elles vous coûteront un peu plus cher que les huîtres creuses mais leur goût est plus délicat et leur chair plus ferme.


Les huîtres plates se consomment de préférence crues, sans sauce ni vinaigre, tout au plus avec quelques gouttes de citron et un soupçon de poivre. Présentez-les sur un plat central, posées sur un lit d’algues, de gros sel ou de glace pilée, elles resteront ainsi bien stables.

Quant aux huîtres creuses mangées froides, elles peuvent être assaisonnées de quelques gouttes de citron et d’un soupçon de poivre mais elles peuvent aussi être accommodées de vinaigrette, surtout celle au vinaigre de framboise et à l’échalote. Des merguez ou des rondelles de chorizo piquant produisent un effet de contraste garanti.


Que vous serviez des huîtres plates ou creuses, ouvrez-les au dernier moment, jamais plus d’une heure avant de les consommer.

Vous craignez que la texture particulière de la chair d’huître creuse rebute certains de vos invités ? Servez-leur des huîtres chaudes !

Ouvrez vos huîtres mais ne les égouttez pas. Placez une généreuse noix de beurre d’escargot sur chaque huître et déposez vos huîtres sur un barbecue à feu vif. Retirez-les quand le beurre d’ail est complètement fondu.

Vous souhaitez déguster vos huîtres creuses chaudes mais vous hésitez à allumer votre barbecue pour les fêtes de fin d’année ? Utilisez le four de votre cuisine. Ouvrez et égouttez complètement vos huîtres. Répartissez-les sur une plaque allant au four et recouverte de gros sel qui stabilisera vos huîtres. Remplacez leur eau par du vin blanc ou, mieux encore, par du champagne. Poivrez puis recouvrez toute la coquille de fromage râpé. Placez les coquilles dans votre four à 180° jusqu’à obtenir une belle fusion de votre fromage râpé.

A moins qu’un de vos invités ne soit allergique aux fruits de mer, personne ne devrait résister à votre soupe d’huîtres. Pour 4 personnes, sortez de leurs coquilles 24 belles huîtres creuses et égouttez-les dans un chinois. Dans un poêlon, cuisez-les doucement avec une noix de beurre puis ajoutez une pointe d’ail, ½ litre d’eau et un cube de bouillon de volaille. Ajoutez ensuite une cuiller à café de curry en poudre, ½ litre d’eau et 2 dl de crème fraîche. Poivrez selon votre goût. Préparez des bols individuels. Remettez 6 chairs par bol et partagez équitablement le liquide. Au moment de servir, ajouter quelques petits blocs de foie gras dans chaque bol.

Il n’y a plus qu’à…

Vous voilà maintenant prêt ou prête à savourer vos huîtres de fête. Il n’y a plus qu’à vous rendre chez votre poissonnier préféré ou dans votre commerce habituel… à moins que vous ne préfériez aller directement en Zélande ramasser vous-mêmes vos propres huîtres. Cette démarche est autorisée mais encadrée par des règles strictes :

  • Le ramassage s’effectue sous votre responsabilité. Si la salubrité des coquillages vendus dans le commerce a été rigoureusement contrôlée, il n’en est pas de même pour les coquillages sauvages. Surtout, en cas de température élevée de l’eau, ils peuvent contenir des bactéries pathogènes, des virus et/ou des toxines.
  • Le ramassage est interdit à l’intérieur des parcelles concédés aux ostréiculteurs.
  • Le ramassage doit être effectué à pied depuis la plage et ne peut être effectué dans le cadre d’une plongée. N’ayez aucun matériel de plongée avec vous ou dans votre voiture en cas de ramassage !
  • Le ramassage est limité à 10 kg par personne et par jour.
  • Une brigade de répression du braconnage est spécialement affectée au contrôle de ces dispositions.

Dernières précisions

Grâce à tous ses apports en nutriments, l’huître offre des apports bénéfiques pour la santé pour très peu de calories. Elle peut donc être consommée sans modération à la différence du vin qui l’accompagne souvent et qui nécessite d’être consommé avec modération !
Peu importe comment vous les préparerez, savourez vos huîtres avec toute la délectation qu’elles méritent. De plus, bien que ni l’huître plate ni l’huître creuse ne soient élevées à cet effet, il n’est pas impossible que l’une d’elle contienne une perle !

Je vous souhaite de bonnes dégustations de vos huîtres et de belles fêtes de fin d’année.